Je vois à présent mes patients par Skype en travaillant depuis la maison. Chacun est en train de se réorganiser et tente de continuer à adapter son mode de vie en changeant ses repères. Les marqueurs spatio-temporels ne sont plus ceux que nous connaissons habituellement.

Deux questions fondamentales ressortent de nos discussions : comment notre temporalité se modifie-t-elle ? Comment gérons-nous notre espace autrement ?

Rappelons que nous sommes en plein processus de changement et que le temps est notre allié. Il y a d’un côté l’urgence à laquelle les soignants sont confrontés, pour sauver des vies, limiter les dégâts, la situation économique dont beaucoup parlent, des nouvelles difficiles à entendre ; de l’autre, chacun de nous s’adapte à la situation en fonction de mesures diverses prises par les états, les autorités sanitaires, les décisions à visées économiques. Il y a l’urgence et il y a un changement plus global qui s’opère quant à lui, à un autre rythme. Urgence et… patience. Peut-on se donner plus de temps quand c’est possible et nécessaire pour que ce soit bénéfique ? Comment marquer les moments dédiés à l’information, à la vie sociale et professionnelle, à la famille, au couple et à soi-même ? Comment séparer les moments relationnels des moments pris pour se ressourcer individuellement ?

Et notre espace de vie est devenu plus restreint. Certains se sentent enfermés, obligés de rester chez eux car « confinés ». Cela dit, la possibilité d’investir son espace autrement reste un choix personnel ou collaboratif. Dans un champ limité, on garde sa liberté de mouvement. Bouger reste un privilège. Certains sont mieux lotis que d’autres, certes. Comment s’organiser en marquant des espaces en famille, en couple, pour le travail à distance (s’il y en a) ? Quelle place reste-t-il à l’intérieur de soi pour favoriser une imagination bénéfique et une créativité salutaire ? Comment utiliser à bon escient les espaces de réseaux sociaux, les « boîtes » mail qui nous offrent la chance de communiquer facilement ?

Et quelle place pour la sensorialité ? Peut-on prendre le temps, quand c’est possible, ou juste un instant, de se laisser respirer tranquillement, faire quelques mouvements, ouvrir une fenêtre et sentir la température extérieure, laisser l’air effleurer sa peau, se souvenir de moments en extérieur, dans la nature, ressentir ce que ça fait dedans. Retrouver un beau paysage intérieur. Ou si ce n’est pas encore possible, trouver des images et des sons de nature sur internet ou dans un album, un livre d’images ? Faire de la musique ou écouter de la musique? Ou tout ce qui amène une pincée (voire plusieurs) de tranquillité et de bien-être, quand c’est possible ?